Contexte Bouleversé

Partant d’arguments contre le sédévacantisme qui le repèrent comme une erreur simplificatrice dans une situation totalement anormale, l’un de nos amis italiens (C.C.) considère cette situation de plus haut. Sans être prêtre ni théologien, il avance l’opinion selon laquelle le sédévacantisme n’est simplement que l’une parmi plusieurs autres tentatives dans l’Église de faire rentrer la crise d’aujourd’hui dans les catégories d’hier. Ce n’est pas du tout la théologie catholique qui change mais la situation réelle à laquelle cette théologie doit être appliquée, situation qui a été bouleversé par Vatican II. Voici son paragraphe-clé au sujet de cette réalité changée de fond en comble :—

« En rejetant la réalité objective de l’existence de Dieu, et la soumission nécessaire à sa Loi, le monde d’aujourd’hui n’est plus du tout normal, et pour avoir mis l’homme au centre de tout à la place de Dieu, l’actuelle unité catholique n’est point normale non plus. Ce n’est pas non plus par un soudain changement de direction que l’Église en est arrivée à cet état anormal des choses, mais en suivant un processus long et complexe d’éloignement de Dieu, dont les effets de rupture ont été révélés au grand jour lors de Vatican II. C’est au cours de quelques centaines d’années que les germes de dissolution se sont infiltrés dans l’Église, tout comme les hommes qui en ont entretenu la germination. Ces derniers ont réussi à se faire insérer dans tous les rangs de la hiérarchie, jusqu’au Siège de Pierre y compris ».

Et mon ami de continuer en signalant que faute de tenir compte de cet état totalement anormal de l’Église, qui est – incroyablement mais vraiment – pire que jamais, on court le risque de vouloir affronter une réalité qui a cessé d’exister, à partir de termes de référence qui ne s’appliquent plus désormais. C’est ainsi par exemple que les sédévacantistes diront que les hommes d’Église d’aujourd’hui ont nécessairement conscience de ce qu’ils font, puisque ce sont des hommes intelligents et instruits. Mais il n’en est pas ainsi, dit C.C. : même si leur prédication et leur ministère ne sont plus catholiques, eux-mêmes sont néanmoins convaincus qu’ils sont totalement orthodoxes. Le monde entier est devenu fou. Ils n’ont fait que devenir fous avec lui, non pas en perdant la raison mais en renonçant à son usage, ce qui a de plus en plus affaibli leur foi catholique, au point où il y a de moins en moins d’obstacles qui les empêchent de perdre la raison totalement.

Mais dans ce cas, pourrait-on objecter, Dieu doit avoir abandonné son Église. Pour y répondre, C.C. utilise trois citations de l’Ecriture. D’abord Lc. XVIII, 8, où Notre Seigneur se demande s’Il trouvera encore la Foi sur la terre lorsqu’Il reviendra. D’où il ressort qu’un petit reste de prêtres et de laïcs (avec peut-être quelques évêques) suffira pour assurer l’indéfectibilité de l’Église jusqu’à la fin du monde (on pense aux difficultés actuelles de la « Résistance » pour se constituer). Pareillement, en deuxième lieu, Mt. XXIV, 11–14, où il est prévu que de nombreux faux prophètes séduiront un grand nombre d’âmes, et que la charité se refroidira. Et troisièmement, Lc.XXII,31–32, où Notre Seigneur commande à Pierre de confirmer ses frères dans la Foi après qu’il se soit converti, laissant à entendre que sa Foi aura pour un temps défailli. Ce qui suggère que presque toute la hiérarchie peut faillir, même Pierre, sans que pour autant l’Église cesse d’être indéfectible, un peu comme au moment où les Apôtres au Jardin de Gethsémani s’éloignèrent tous en courant (Mt.XXVI,56).

Pour conclure, la vision de C.C. pour l’Église de demain ou après-demain ressemble beaucoup à celle du P. Calmel : que chacun d’entre nous fasse son devoir selon son état de vie, et contribue à l’édification d’un réseau de petits fortins de la Foi, ayant chacun un prêtre pour assurer les sacrements, mais sans que l’on recoure à une théologie de l’Église désormais inapplicable, ni à aucune approbation canonique impossible à obtenir. Et que l’on ne prenne pas trop en compte les murs de séparation d’hier, pour autant que la Foi aura pu passer par-dessus Ces fortins seront unis par la Vérité et auront de mutuels contacts de charité. Le reste demeure dans les mains de Dieu.

Kyrie eleison.