Brexit – II
Brexit – II on mai 11, 2019
Un poème anglais du XIXe siècle, célèbre à juste titre, jette une vive lumière sur le tapage énorme suscité par la tentative du peuple britannique d’échapper aux contraintes européennes. Le poème de Matthew Arnold (1822–1888), Dover Beach (La plage de Douvres), écrit vers 1851 probablement, dépeint en quatre strophes inégales sa profonde mélancolie alors que résonne en lui au bord de la Manche le battement continu des vagues s’échouant sur la plage devant la maison où il passe la nuit avec sa bien-aimée, sans doute sa légitime épouse.
La première strophe donne une belle description du bord de la mer et des vagues au clair de la lune, mais se termine sur la « note de tristesse éternelle » qu’il lui semble entendre dans le ressac. Maître des classiques, cet érudit se remémore une citation du dramaturge grec Sophocle (496–406 av. J.-C.) qui, lui aussi, sur une plage semblable, bien que située à des milliers de kilomètres et à plus de deux mille ans de distance, entendait “le flux et le reflux obscur de la misère humaine”. L’esprit du poète se tourne vers les troubles profonds de sa propre époque, l’ère Victorienne, et bien qu’il n’ait jamais été catholique, dans la troisième strophe il les fait remonter à la perte de foi du XIXe siècle, dont il lui semble capter dans le bruit des vagues se retirant devant lui le « le grondement prolongé, la retraite en tristesse »
La quatrième et dernière strophe présente la seule solution que le poète puisse concevoir à ce problème de la vie qui quitte ce qui fut autrefois la chrétienté, et c’est de se retourner vers la bien-aimée à ses côtés pour la supplier de maintenir leur fidélité mutuelle, car l’amour qu’ils ont l’un pour l’autre est le seul bien qu’ils possèdent vraiment. La sombre conclusion du poème le dit : Tout le reste
Est dépourvu d’amour, de joie, et de lumière,
Privé de certitude, de paix, où la douleur est reine,
Et nous voilà, comme sur une sombre plaine
Balayée par les bruits confus de luttes et de fuites,
Où des armées ignares se heurtent dans la nuit.
Arnold avait donc assez de foi pour comprendre que le problème essentiel de la civilisation venait, à son époque, de la perte de foi. Mais sa foi à lui n’était pas assez forte pour croire en l’alternative réelle qui permet d’échapper à cette obscurité et confusion ambiantes : l’Église catholique. De même, les partisans du Brexit ont assez de bons instincts et de bon sens pour sentir que l’Union européenne va à la catastrophe, mais puisqu’ils ont encore moins de religion qu’Arnold n’en avait, ils sont d’autant moins inspirés que lui pour savoir comment sortir de cette “sombre plaine”. C’est pourquoi le Brexit continue de se présenter comme un débat « où des armées ignares se heurtent dans la nuit. ». Car tout le monde aborde le sujet en termes économiques, alors qu’en fait le vrai débat est religieux : d’un côté les derniers vestiges des nations chrétiennes, de l’autre côté, la montée de l’Anti-christ avec son Nouvel Ordre Mondial. C’est la dimension religieuse qui donne au débat toute sa force. C’est l’absence de religion qui, des deux côtés, donne au débat sa grande confusion.
Car, en effet, Dieu est le grand absent de la “civilisation” moderne ; mais comme l’a dit un jour le cardinal Pie : « Si le Seigneur ne gouverne pas par Sa présence, Il gouvernera par Son absence ». Sans Lui, le débat du Brexit se déroule largement sur des bases économiques. Or sur ces bases, les partisans du Brexit ont perdu d’avance. Mais, sont-ils prêts à se tourner vers Dieu ? Voilà toute la question.
Kyrie eleison.