Eleison Comments

Des Sentiments Chrétiens

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Comment Benoît XVI a-t-il même pu imaginer que Dieu le Père ait été cruel envers Dieu le Fils en exigeant de lui qu’il paie en souffrant pour les péchés du monde entier (cf. Ce “Commentaire” de la semaine passée) ? “Je dois être baptisé d’un baptême,” dit le Fils lui-même, “et quelle angoisse en moi jusqu’à ce qu’il s’accomplisse” (Lc. XII, 50). Ste Thérèse d’Avila voulait “ou souffrir, ou mourir,” mais Ste Marie Madeleine de Pazzi voulait “souffrir et pas mourir”. La citation suivante peut présenter cette compréhension chrétienne de la souffrance qui manque au moderne Benoît :—

A qui puis-je dire ce que je souffre ? A personne sur cette terre parce que ce n’est pas une souffrance de la terre et elle ne serait pas comprise. C’est une souffrance qui est une douceur et une douceur qui est une souffrance. Je voudrais souffrir dix fois, cent fois plus. Pour rien au monde je ne voudrais cesser de souffrir ainsi. Mais je souffre quand même, comme quelqu’un saisi à la gorge, pris entre les mâchoires d’un étau, brûlé dans une fournaise, percé jusqu’au cœur.

Si j’étais libre de bouger, de m’isoler de tout le monde et de pouvoir en bougeant ou par des mouvements donner libre cours à ce que je ressens – car la douleur est bien un sentiment – cela me soulagerait. Mais je suis comme Jésus en croix. Il ne m’est plus permis ni de bouger ni de m’isoler, et je dois me mordre les lèvres pour ne pas livrer en pâture aux curieux ma douce agonie. Je dois faire un grand effort pour dominer mon désir véhément d’émettre un cri de joie et de peine surnaturelle qui bouillonne et monte en moi avec toute la force d’une flamme ardente ou d’une eau jaillissante.

Les yeux de Jésus voilés par la douleur au moment de l’Ecce Homo, m’attirent comme le spectacle d’un désastre. Il est en face de moi et il me regarde, droit debout sur les marches du Prétoire, la tête couronnée d’épines, les mains liées devant sa tunique blanche de fou qui lui a été donnée pour le tourner en ridicule, mais qui a l’effet plutôt de le revêtir d’une blancheur digne de l’Innocent. Il ne dit pas un mot, mais tout en lui parle pour me sommer et me demander quelque chose.

Quoi au juste ? Que je l’aime. Je le sais, et je lui donne mon amour jusqu’à sentir comme une lame dans la poitrine. Mais il me demande encore quelque chose que je ne comprends pas. Et que je voudrais comprendre. Voilà ce qui me torture. Je voudrais lui donner tout ce qu’il peut désirer, au prix de mourir en agonie. Et je ne réussis pas.

Sa figure douloureuse m’attire et me fascine. Il est beau quand il est le Maître ou le Christ Ressuscité. Mais le voir comme cela ne me donne que de la joie. Le voir souffrant me donne un amour profond plus que ne saurait l’être l’amour d’une mère pour sa créature souffrante.

Mais oui, je comprends. Cet amour de compassion est le crucifiement de la créature qui suit son Maître jusqu’à la torture finale. C’est un amour despotique qui nous empêche de penser à quoi que ce soit qui ne soit pas sa douleur. Nous ne nous appartenons plus. Nous ne vivons que pour consoler sa torture. Sa torture est notre tourment qui nous met à mort, et pas seulement métaphoriquement. Pourtant toute larme qui nous est arrachée par cette douleur nous est plus chère qu’une perle, toute douleur que nous ressentons comme la sienne est plus aimée et désirée qu’un trésor.

Mon Père, je me suis efforcée de dire ce que j’éprouve. Mais c’est inutile. De toutes les extases que Dieu peut me donner, ce sera toujours celle de sa souffrance qui transportera mon âme au septième ciel. Mourir d’amour en regardant mon Jésus en peine, je trouve que c’est la plus belle des morts.

Kyrie eleison.