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Mozart mis en Cause

Mozart mis en Cause on juin 2, 2018

A la suite du numéro 550 de ces “Commentaires” qui a fait l’éloge de Mozart (27 janvier 2018), nous avons reçu d’un lecteur une lettre personnelle dans laquelle il nous confiait que le célèbre compositeur lui posait un problème : Mozart n’était-il pas un franc-maçon passionné ? N’a-t-il pas laissé passer la seconde moitié de sa vie sans composer d’œuvre majeure pour l’Église catholique ? Quant à ses opéras, ne traitent-ils pas des relations hommes-femmes et les questions de moralité de façon très relâchée ?

Assurément, la musique est d’une importance telle pour les âmes que les objections de ce lecteur valent la peine qu’on y réponde publiquement, afin que les personnes qui ne connaissent pas encore Mozart soient encouragées – sans y être obligées, évidemment – à écouter sa musique pour leurs moments de détente. Rappelons donc quelques principes pour répondre à chacune des trois objections de notre lecteur.

Que Mozart ait été franc-maçon soulève un principe très important. Certes, on ne peut pas séparer l’artiste de son art, cependant on doit distinguer l’un de l’autre. Ce qui fait la bonté morale d’un artiste en tant que personne, n’est pas la même chose que ce qui fait la bonté artistique de ses oeuvres (Summa Theologiae, 1a 2ae, Q57, Art.3). Ainsi, Picasso était, en tant que personne, une crapule ; tandis que son art, d’un point de vue purement artistique, est brillant. A l’inverse, d’innombrables peintres victoriens ont bien pu être personnellement d’une haute moralité, alors que leurs peintures sont tristes comme la pluie. Ainsi, l’esprit maçonnique a certainement influencé une partie de la musique composée par Mozart dans sa maturité, notamment la “Flûte Enchantée”, mais la musique en tant que telle ne relève certainement pas de la guerre menée contre Dieu par la Franc-maçonnerie. C’est bien plutôt aux parents catholiques de Mozart et à son éducation d’enfant dans l’environnement d’une Autriche hautement catholique sous l’impératrice Marie-Thérèse. qu’elle doit son innocence et sa beauté.

En seconde lieu, étant donné que la Messe en Do Mineur et le Requiem sont restés inachevés, il est exact de dire que Mozart, dans sa maturité, n’a pas composé d’œuvre majeure pour l’Église. Mais combien de fois ces deux œuvres sont-elles interprétées, et avec quel impact religieux ! Et connaît-on un morceau de musique jouée ou chantée dans les chapelles et les églises catholiques aussi souvent que “l’Ave Verum “ de Mozart ? De plus, si nous savons distinguer la musique implicitement catholique de la musique qui l’est explicitement, qui pourrait nier que Mozart, tout comme Shakespeare, soit un formidable soutien des valeurs catholiques ? Nous voulons parler, dans le cas de Mozart, des valeurs d’harmonie, d’ordre, d’équilibre et de joie qu’éprouvent d’innombrables auditeurs en l’écoutant. Ces grands artistes, implicitement catholiques de par leur héritage, ne sont-ils pas une miséricorde de Dieu permettant aux post-catholiques de jouir de valeurs catholiques sans qu’ils s’en rendent compte ? Car, si les post-catholiques s’en rendaient compte, ne s’empresseraient-ils pas de répudier ces valeurs, à l’instar des libéraux acharnés qui « déconstruisent » actuellement Shakespeare dans leurs prétendues « universités » ? Sans doute Mozart subit-il le même sort dans leurs « conservatoires de musique ». En fait, les acteurs et les musiciens libéraux d’aujourd’hui arrivent-ils même à s’approcher du cœur de Shakespeare ou de Mozart ? Non ! Et que cela nous dit-il de ce cœur ? Qu’il ne plaît point aux libéraux !

Troisièmement, certains opéras de Mozart sont en partie tellement légers que Beethoven les méprisait : « Jamais je n’aurais pu composer d’opéras aussi frivoles » disait-il. Mais cela laisse de côté les passages plus sérieux des mêmes opéras. Il y a, d’un côté, la coquetterie de Zerlina mais, de l’autre, la damnation de Don Juan au milieu des flammes de l’enfer ; d’un côté le badinage du Comte, mais de l’autre ses sincères regrets exprimés à la Comtesse souffrante ; d’un côté le Sérail, mais de l’autre, la mise en valeur du pardon. Dans un monde déchu, la vie réelle se déroule tantôt de façon comique, tantôt de façon sérieuse. Voyez comment, au début de “Don Juan”, Mozart combine musicalement le duel et la mort d’un duelliste avec la panique brouillonne de Leporello, ce lapin au service de Don Juan. Il est certain que Mozart, tout comme Shakespeare, «  a vu la vie de façon équilibrée et dans son entier  », comme a dit Matthew Arnold du grand dramaturge grec, Sophocle.

En conclusion, il est clair que Mozart reste par un côté assez coquin (voir le film “Amadeus”), et qu’il fait partie intégrante de cette chrétienté, déjà décacdente, de la fin du 18ème siècle. Cependant, par rapport à la décadence enregistrée depuis lors, ne dirait-on pas que sa musique s’approche de celle des anges, tout en évitant de paraître inaccessible à nous autres modernes ? Tout homme nuit à son âme en fréquentant une musique de bas étage, sans valeur intrinsèque de mélodie, d’ harmonie ni de rythme. Par contre, en général il ne pas nuira pas à son âme en fréquentant Mozart, bien au contraire.

Kyrie eleison.

Les Fleurs Parlent

Les Fleurs Parlent on juin 2, 2012

Dieu est l’Etre infini, la Vérité infinie, la Bonté infinie, il est infiniment juste et infiniment miséricordieux. Ainsi nous l’enseigne son Église, et l’idée est grandiose et belle, aussi n’ai-je rien à objecter. Mais ensuite j’apprends que son Église enseigne aussi que même pour un seul péché mortel l’âme peut être damnée pour toute une éternité à des souffrances terribles et cruelles au-delà de toute imagination, et cela n’est plus si sympa. Je commence à ruer dans les brancards.

Par exemple, je n’ai jamais été consulté, ni pour la décision de mes parents de me donner l’existence, ni sur les termes du contrat, pour ainsi dire, de cette existence. Si j’avais été consulté, j’aurais bien pu m’élever contre une alternative si extrême entre un bonheur inimaginable et un inimaginable tourment tels que l’Église nous les enseigne, tous les deux sans fin. Un « contrat » plus modéré j’aurais pu éventuellement accepter, où en échange d’un Ciel raccourci je n’aurais risqué qu’un Enfer abrégé, mais on ne m’a pas consulté. Et alors la durée infinie de chacun d’eux me paraît hors de toute proportion avec la brièveté de ma vie ici-bas : 10, 20, 50 même 90 ans sont ici aujourd’hui, disparus demain. Toute chair est comme l’herbe – « Au matin l’homme fleurit . . . au soir il tombera, séchera et se fanera » (Ps. XXX, 6). Et si je suis cette ligne de pensée, Dieu peut me sembler si injuste que je me demande pour de vrai si réellement il existe.

Le problème nous oblige à réfléchir. Supposons que Dieu existe : qu’il est aussi juste que l’Église nous le dit ; qu’il est injuste d’imposer à quiconque un fardeau lourd auquel il n’ait pas consenti ; que cette vie est brève, une simple bouffée de fumée lorsqu’on la compare avec ce que doit être l’éternité ; qu’en justice personne ne peut mériter un terrible châtiment tant qu’il n’a pas été conscient de commettre un crime terrible. Dès lors, comment ce Dieu supposé peut-il être juste ? S’il est juste, toute âme ayant atteint l’âge de raison doit en bonne logique vivre au moins assez longtemps pour connaître le choix pour l’éternité qu’elle est en train de faire, et l’importance de ce choix. Toutefois comment cela est-il possible par exemple dans le monde d’aujourd’hui, où Dieu est si universellement négligé et méconnu dans la vie des individus, des familles et des États ?

La seule réponse possible, c’est que Dieu les devance tous à intérieur de l’âme, où il « parle » bien avant toute parole des êtres humains et indépendamment d’eux tous, en sorte que même une âme dont la formation religieuse a été nulle et sans valeur est tout de même consciente que chaque jour de sa vie elle est en train de faire un choix qui dépend d’elle seule, et qui a des conséquences énormes. Mais encore une fois, comment cela est-il possible dans un monde aussi impie que celui qui nous entoure aujourd’hui ?

Parce que la « parole » de Dieu à l’intérieur des âmes est beaucoup plus profonde, plus constante, plus présente et plus pressante que ne peuvent être les paroles de n’importe quel être humain. Lui seul a créé notre âme, et continuera de la créer tant qu’elle existe, c’est-à-dire sans fin. Il est donc à tout et à chaque moment plus proche d’elle que même ses parents, qui n’ont fait que composer son corps d’éléments matériels – soutenus dans l’existence par Dieu seul.

Et de la même façon c’est la bonté de Dieu qui est derrière et dans et sous toutes les choses bonnes dont l’âme jouira dans cette vie, et au fond d’elle-même l’âme sait bien que celles-ci ne sont que des dérivatifs de la Bonté divine – « Tais-toi, » disait St Ignace de Loyola à une toute petite fleur – « Je sais de qui tu me parles. » Le sourire d’un petit enfant ; la splendeur quotidienne de la Nature tout au long du jour ; les nuages, chaque firmament, un chef d’œuvre ; la musique, et combien d’autres choses – même aimées d’un amour profond, ces créatures parlent à l’âme pour lui dire qu’il y a quelque chose de beaucoup plus – ou Quelqu’un.

« En vous, O Dieu, j’ai espéré, ne permettez pas que je sois à jamais confondu » (Ps.XXX, 2).

Kyrie eleison.

Confronter Le Chaos

Confronter Le Chaos on février 18, 2012

Des lecteurs attentifs de ces « Commentaires » peuvent avoir remarqué une contradiction apparente. D’une part les « Commentaires » n’ont cessé de condamner tout ce qu’il y a de moderne dans les arts (par exemple EC 114, 120, 144, 157, etc.). D’autre part, la semaine dernière le poète Anglo-américain T. S. Eliot s’est fait appeler « ultra-moderne », et vanter pour avoir lancé un nouveau style de poésie plus authentique en ce qui concerne l’époque moderne, certes chaotique.

Ainsi que les « Commentaires » l’ont souvent signalé, la modernité dans les arts se caractérise par son manque d’harmonie et sa laideur, parce que l’homme moderne choisit de plus en plus de vivre sans ou même contre Dieu qui a mis l’ordre et la beauté dans toute sa création. Cette beauté et cet ordre se trouvent maintenant tellement enterrés sous les fastes et les œuvres de l’homme sans Dieu qu’il est facile aux artistes de croire qu’ils ne s’y retrouvent plus. Si donc les artistes doivent être véridiques par rapport à ce qu’ils perçoivent de leur entourage et de leur société, il s’ensuit que seul un artiste moderne exceptionnel transmettra quelque chose de l’ordre divin qui demeure caché sous la surface désordonnée de la vie moderne. En effet, la plupart des artistes modernes ont renoncé à l’ordre et, comme leurs clients, se vautrent dans le désordre.

Mais Eliot naquit et fut éduqué vers la fin du 19 ème siècle alors que la société conservait encore un ordre relatif, puis il reçut aux USA une bonne éducation classique lorsque seuls quelques bandits rêvaient en secret de remplacer l’éducation par l’enseignement de matières inhumaines. Aussi le jeune Eliot peut-il n’avoir eu que peu d’accès à la vraie religion, mais on l’avait bien introduit à ce que celle-ci avait engendré depuis le Moyen Age, à savoir les grands classiques de la musique et de la littérature occidentale. Ressentant et cherchant en elles l’ordre qui manquait autour de lui, Eliot fut ainsi capable de saisir le profond désordre du 20 èmesiècle commençant, désordre qui ne ferait qu’éclater avec la Première Guerre mondiale (1914–1918). D’où La Terre Désolée de 1922.

Mais dans ce poème il est loin de se vautrer dans le désordre. Au contraire, clairement, Eliot le hait, montrant à quel point il est vide de chaleur et de valeurs humaines. Ainsi La Terre Désolée conserve peu de trace de la religion occidentale, mais elle se termine sur des bribes de religion orientale, et comme le dit Scruton, Eliot sondait certainement les profondeurs religieuses du problème. En fait, quelques années plus tard Eliot a failli devenir catholique, mais il en a été détourné par la condamnation en 1926 de l’ « Action Française » par Pie XI, condamnation dans laquelle il reconnut davantage le problème et non pas sa solution. Alors par reconnaissance envers cette Angleterre qui lui avait tant permis d’apprécier l’ordre traditionnel, il choisit une solution incomplète, une combinaison d’Anglicanisme avec la grande culture, et un chapelet toujours dans sa poche. Cependant Dieu écrit droit avec des lignes tordues. Combien d’âmes à la recherche de l’ordre seraient restées loin de Shakespeare ou d’Eliot si elles avaient pensé que l’un ou l’autre, par le fait d’être pleinement Catholiques, avaient des réponses seulement préfabriquées, sans correspondance véritable à la vie.

C’est triste, mais c’est ainsi. Or, les âmes peuvent bien se tromper de façon ou d’autre si pour s’éloigner d’auteurs ou d’artistes catholiques ils prennent comme excuse que ceux-ci ne sont pas fidèles à la réalité de la vie, mais il dépend des catholiques de ne pas leur offrir cette excuse. A nous autres catholiques de montrer par notre exemple, face aux profondeurs des problèmes modernes, que nous ne nous laissons pas bercer par des solutions artificielles, nécessairement fausses. Nous ne sommes pas des anges, mais des créatures terre à terre, pourtant invitées au Ciel si nous acceptons notre Croix moderne en suivant Notre Seigneur Jésus-Christ. Seuls de tels disciples peuvent refaire l’Eglise, et le monde !

Kyrie eleison.

Angélisme Mortel

Angélisme Mortel on février 11, 2012

En discernant ce qui fit de T.S. Eliot (1888–1965) « indiscutablement le plus grand poète de langue anglaise au 20 ème siècle », un écrivain anglais conservateur de nos jours, Roger Scruton, a des choses intéressantes à suggérer aux Catholiques dont la foi pend à un fil en ces premières années du 21 ème siècle – bref, la solution est dans la souffrance même ! Si nous sommes crucifiés par le monde autour de nous, voilà la Croix que nous devons porter.

Eliot était en poésie un ultra-moderniste. Comme le dit Scruton, « Il a renversé le 19 ème siècle dans la littérature et inauguré l’âge de la versification libre, de l’aliénation et de l’expérimentation. » On pourrait bien se demander si la combinaison de haute culture et d’Anglicanisme à laquelle est arrivé finalement Eliot est une solution suffisante aux problèmes qu’il abordait, mais on ne peut nier qu’avec son célèbre poème, La Terre Désolée de 1922, il a ouvert la voie à la poésie anglaise contemporaine. L’énorme influence de ses poèmes a démontré au moins qu’Eliot avait mis le doigt sur la plaie de notre époque. C’est un homme moderne et il aborda de front le problème de l’époque moderne, résumé par Scruton avec ces mots : « fragmentation, hérésie et incroyance ».

Cependant, La Terre Désolée ne pourrait être le chef d’œuvre qu’il est, s’il n’avait su trouver un sens au chaos. Il s’agit en fait d’un portrait brillant en pas plus de 434 lignes de la « civilisation » européenne détruite, telle qu’elle émergeait des ruines de la Première guerre mondiale. Et comment Eliot a-t-il réussi ce coup ? Parce que, comme le dit Scruton, l’ultra-moderniste Eliot était aussi un ultra-conservateur. Eliot s’était imprégné des grands poètes du passé, en particulier de Dante et de Shakespeare, mais aussi de maîtres plus modernes, tels Baudelaire et Wagner, et en lisant La Terre Désolée on voit clairement que c’est l’appréciation de l’ancien ordre chez Eliot qui l’a rendu capable de saisir le désordre de l’époque actuelle.

Scruton commente que lorsque Eliot balaya d’un revers de main la grande tradition de la poésie romantique anglaise du XIX ème siècle, c’est parce que le romantisme ne correspondait plus à la réalité de son époque. « Il croyait que l’usage par ses contemporains d’une diction poétique dépassée et de rythmes doucereux trahissait une grave faiblesse morale : un refus d’appréhender la vie telle qu’elle est en réalité, un refus de sentir ce qui doit être ressenti envers cette expérience contemporaine à laquelle nous ne pouvons échapper. Et ce refus ne se limitait pas, selon Eliot, à la littérature, mais embrassait tout l’ensemble de la vie moderne. » La recherche d’un nouveau langage littéraire de la part d’Eliot faisait donc partie pour lui d’une recherche plus large – « la recherche de la réalité de l’expérience moderne ».

Or n’avons-nous pas vu, ne voyons-nous pas toujours à l’intérieur de l’Eglise la même « grave faiblesse morale » ? On peut donner le nom de « Cinquantisme » à cette faiblesse de l’Eglise des années 1950 qui fut la cause directe du désastre de Vatican II dans les années 1960. Mais qu’était-ce sinon le refus de voir carrément le monde moderne tel qu’il est ? L’illusion que tout était beau, que tout le monde était gentil ? L’illusion qu’il suffira que je m’emmitoufle dans une sentimentalité angéliste pour que les problèmes de l’Eglise dans le monde Révolutionnaire s’évanouissent tout simplement ? Et que signifie maintenant l’illusion que Rome désire réellement rétablir la Tradition catholique sinon essentiellement le même refus de la réalité moderne ? Comme Eliot nous a fait comprendre que cette sentimentalité est la mort de la vraie poésie, de même Monseigneur Lefebvre nous a montré qu’elle est la mort du véritable catholicisme. Cet Archevêque ultra-conservateur était en même temps le plus moderne des catholiques fidèles.

Catholiques, la réalité d’aujourd’hui peut nous crucifier par l’un ou l’autre de ses nombreux moyens corrompus, mais réjouissez-vous, encore une fois, dit Saint Paul, réjouissez-vous, car ce n’est qu’en acceptant la Croix qui nous revient aujourd’hui à chacun de nous que nous ferons notre propre salut, et que nous construirons le seul avenir du catholicisme.

Kyrie eleison.

La Vérité Libérée

La Vérité Libérée on décembre 11, 2010

Les trois derniers numéros du « Commentaire Eleison » (175–177) ont présenté un argument que le peintre français Paul Gauguin (1848–1903) n’a fait que provoquer, parce qu’il est loin d’être le pire des artistes modernes. Cet argument n’est pas descendu de l’existence de Dieu au caractère ridicule de l’art moderne. Il est plutôt remonté de cette modernité ridicule à l’existence de Dieu. Entre descendre de la cause à l’effet et remonter de l’effet à la cause, il y a ici une grande différence.

Par exemple, si je prends comme point de départ l’existence de Dieu comme un fait acquis, et en descendant par la raison arrive comme conclusion au ridicule de l’art moderne, de la musique moderne et des mises en scène modernes, etc., d’abord je n’ai en rien prouvé que Dieu existe, et ensuite sa religion donne l’impression de s’imposer à ma liberté comme un sabot de Denver à ma voiture. Or, je suis moi, et ce moi, quoi qu’il soit, veut être libre de choisir l’art qui me plaît. Mais voici qu’arrive, supposément du Ciel, un contractuel pour saboter ma liberté ? Non merci !

Par contre si je pars de ma propre expérience de l’art moderne, mon point de départ m’est alors directement connu. Et si cette expérience est franchement décevante – ce n’est pas nécessairement le cas mais elle peut bien l’être – alors il se peut que je commence à me demander pourquoi je me sens si mal à l’aise devant ces artistes modernes comblés d’éloges. J’écoute encore une fois les éloges. Je ne suis toujours pas convaincu. Pourquoi pas ? Parce que l’art moderne est intrinsèquement laid. Mais qu’est-ce qu’il y a de mauvais à la laideur ? C’est que la beauté y manque. Et si je continue de monter de la beauté des peintures des paysages ou des femmes, par exemple, à leur beauté dans la Nature, pour faire encore l’ascension jusqu’à cette harmonie des parties qui est intrinsèque à toute la création, dans ce cas-là, étant parti de ma propre expérience j’ai fait un bon trajet vers la connaissance du Créateur lui-même.

Abordé de cette façon-ci, Dieu ne ressemble plus à ce contractuel qui cherche à saboter ma liberté. Au contraire, loin de la saboter il semble laisser à nous autres hommes la liberté de glorifier la laideur partout et d’en créer un monde de chaos. Peut-être espère-t-il que la laideur se fera tellement horrible que nous nous remettrons à la recherche du Vrai et du Bien. A ce moment-là sa religion, loin de ressembler au sabot imposé du dehors à notre liberté intérieure, se présente plutôt comme une aide qui permet au bien en moi de se libérer du mal en moi, car à moins d’être un orgueilleux je dois avouer que pas tout en moi n’est ordonné ni harmonieux.

Dès lors la grâce surnaturelle ne se conçoit plus comme une espèce de policier qui me saute sur le dos pour arrêter avec violence tout ce que j’ai naturellement envie de faire. Elle fait figure plutôt d’un bon ami qui me permettra, si je veux, d’essayer au moins de dégager le bien en moi de tout ce qui s’y trouve de mal.

Une grande force derrière Vatican II et la religion conciliaire n’a-t-elle pas été, et ne continue-t-elle pas d’être, le sentiment répandu que la Tradition catholique est une sorte de policier insupportable dont la tâche est d’entraver toutes mes impulsions naturelles ? C’est entendu, les impulsions de ma nature déchue sont mauvaises, mais en dessous de ce qui est mauvais dans notre nature il y a nécessairement aussi ce qui est bon et qui a besoin qu’on le laisse respirer, parce que depuis notre intérieur il s’harmonise parfaitement avec la vraie religion de Dieu qui nous vient de l’extérieur. Sinon, je risque de faire de mes mauvaises impulsions toute une fausse religion – comme Vatican II.

Kyrie Eleison.

Art de Cinq Sous

Art de Cinq Sous on décembre 4, 2010

Le peintre français Paul Gauguin (1848–1903) rejette la société moderne pour poursuivre l’art, sans que cet art pour la poursuite duquel il s’est libéré de tout semble lui avoir apporté la paix (EC 175). Le romancier anglais Somerset Maugham (1874–1965) écrit quelques années plus tard un roman basé sur la vie de Gauguin qui semble confirmer et le rejet et le manque de paix (EC 176). Mais pourquoi l’artiste moderne est-il en porte-à-faux avec la société qu’il reflète et qui le soutient ? Et pourquoi l’art qu’il produit est-il normalement si laid ? Et pourquoi les gens insistent-ils pour soutenir cet art si laid ?

L’artiste rebelle remonte aux Romantiques. Le Romantisme a fleuri à côté de la Révolution française, qui n’a fait qu’éclater en 1789, parce qu’elle ne cesse depuis de mettre par terre le trône et l’autel. Or les artistes ne peuvent s’empêcher de refléter la société qui les entoure, et alors dans la société actuelle ils s’éloignent toujours plus de Dieu. Si donc Dieu n’existait pas, ne verrait-on pas les arts fleurir sereinement, affranchis enfin de cette illusion de Dieu qui avait jusque-là préoccupé l’esprit humain ? Mais l’art moderne est-il vraiment serein ? Ne porte-t-il pas plutôt au suicide ?

Par contre si Dieu existe, et que le talent de l’artiste est un don de Dieu qui doit servir à lui rendre gloire, comme des artistes du passé sans nombre l’ont proclamé, l’artiste sans Dieu sera en guerre avec son propre don, et son don sera en guerre avec sa société, et sa société en guerre avec son don. N’est-ce pas plutôt là ce que nous observons autour de nous, par exemple le mépris profond des matérialistes d’aujourd’hui pour tous les arts, sous une apparence hypocrite de respect ?

En tout cas, si Dieu existe, il est facile de répondre aux questions posées ci-dessus. D’abord, l’artiste est en guerre avec la société moderne parce que ce souffle de Dieu qu’est en lui son talent se rend bien compte que sa société est autant à mépriser qu’elle est indifférente à Dieu, et si la société soutient l’artiste malgré son mépris, elle n’en est que plus méprisable. Comme Wagner l’a dit une fois, lorsque plus de place pour son orchestre nécessitait moins de places pour l’auditoire : « Moins d’auditeurs ? Tant mieux ! ». Ensuite comment un don de Dieu, dès qu’il est retourné contre lui, peut-il produire quelque chose de beau ou d’harmonieux ? Pour que l’on trouve que l’art moderne est beau, il faut renverser le sens des mots : « Le beau est laid, le laid est beau » (Macbeth) – pourtant, quand est-ce qu’un artiste même moderne a confondu la beauté et la laideur dans les femmes ? Et enfin, l’homme moderne insiste pour renverser le sens des mots parce qu’il fait la guerre à Dieu et n’a aucune intention de s’arrêter. « Plutôt le Turc que la tiare », disaient les Grecs juste avant la chute catastrophique de Constantinople en 1453. « Plutôt le Communisme que le Catholicisme », disaient des sénateurs américains juste après la Deuxième Guerre mondiale, et ils ont été exaucés.

Bref, Wagner, Gauguin, Maugham et des milliers d’artistes modernes de toute espèce ont raison de mépriser notre chrétienté de cinq sous, mais la bonne solution ce n’est pas de guerroyer le Bon Dieu encore plus avec l’art moderne. La solution, c’est de cesser de faire la guerre à Dieu, de recommencer à lui rendre la gloire qui lui est due et de remettre le Christ dans la chrétienté. Combien de laideur va-t-il falloir encore pour que les hommes préfèrent la tiare et choisissent de nouveau la chrétienté ? Même la Troisième Guerre mondiale y suffira-t-elle ? On peut se poser la question.

Kyrie Eleison.