La doctrine catholique, le dogme, dépôt de la foi

Shakespeare Américain ?

Shakespeare Américain ? on mars 17, 2012

Nombreux sont ceux qui trouveront absurde de comparer qui que ce soit impliqué dans le cinéma moderne avec l’un des plus grands poètes et dramaturges de tous les temps, mais la fête de Saint Patrick peut être un moment approprié pour commémorer un grand fils de l’Irlande, le cinéaste américain John Ford (1895–1973), en relevant quelques ressemblances entre sa carrière et celle de William Shakespeare (1564–1616). Peut-être un John Ford est-il le plus proche d’un Shakespeare que notre pauvre époque moderne puisse produire – voyons :

Tout d’abord les deux hommes produisirent beaucoup de spectacles qui connurent un grand succès populaire. Shakespeare commença par écrire non pas de la Littérature Anglaise mais des textes pour la compagnie du Théâtre du Globe, qui était toujours en quête de nouvelles pièces à mettre en scène. Entre 1592 et son exil du théâtre de Londres moins de 20 ans plus tard, il écrivit quelque 35 pièces de toutes sortes : pièces historiques, comédies, tragédies, pièces féeriques. Toutes furent populaires car Shakespeare s’était engagé à fond au Théâtre du Globe et fut très proche de son auditoire. Quant à John Ford, pour satisfaire l’appétit insatiable de nouveaux films de la part du public américain, entre 1917 et 1970 avec plusieurs acteurs qu’il utilisait souvent, il dirigea plus de 140 films, dans lesquels il mélangeait, comme Shakespeare, le comique avec le sérieux, la vie du grand monde avec la vie du bas peuple. Grand nombre de ces films connurent un grand succès parce que Ford comme Shakespeare connaissait bien son public.

Les deux hommes eurent ce succès parce qu’ils étaient de grands conteurs. En effet, les histoires ne sont-elles pas au cœur du divertissement populaire ? L’un comme l’autre, ils accrochent leur auditoire et sont maîtres du suspense – que va-t-il arriver ensuite ? Et de même que les conteurs peuvent avoir sur les gens une influence considérable, de même les deux hommes contribuèrent-ils à modeler le caractère de leur nation. Par ses pièces historiques qu’il écrivit comme propagande pour la dynastie Tudor récemment établie, Shakespeare a influencé de façon permanente la façon dont se voient les Anglais depuis la sortie du Moyen Age. De même, Ford était connaisseur de l’histoire américaine (voir par exemple La Dernière Fanfare, 1958), et en créant le mythe du « Western » par lequel il a fabriqué cette idée que nous avons du « Far West » de l’Amérique, il a défini le caractère national américain à tel point que depuis on associe toujours les Américains avec des « cow-boys ».

Les deux hommes ont fait un sérieux apprentissage de leur métier, Shakespeare sur les planches du Théâtre du Globe, Ford en passant plusieurs années comme opérateur de caméra avant de passer à la direction des films. Comme poète, Shakespeare est un magicien des mots incomparable, mais on pourrait qualifier de poésie ce que faisait Ford avec la caméra. D’innombrables directeurs de cinéma ont étudié ses films pour apprendre à utiliser la caméra car Ford était maître de la composition détaillée de ses images en mouvement (« movies »). Lorsqu’on demanda à Orson Wells, autre célèbre cinéaste, quels directeurs de cinéma l’attiraient le plus, il répondit « J’aime les vieux maîtres, j’entends John Ford, John Ford, et John Ford ». Pour louer « la simplicité et la force » du style des films de Ford, tel autre cinéaste les comparait aux œuvres de maturité de Beethoven !

Pour finir les deux hommes étaient catholiques. Le drame le plus profond des pièces de Shakespeare provient sûrement de son sens catholique, forcément déguisé, de cette tragédie que fut la chute irréversible de l’Angleterre du bon vieux temps – « Merrie England » – dans l’apostasie. Quant à John Ford il fut le dixième des onze enfants de deux immigrants aux Etats-Unis, nés dans l’Irlande catholique. Sans aucun doute, c’est la Foi de ses ancêtres qui lui permit de capter et de rendre comme il l’a fait l’innocence et l’honnêteté relatives de l’Amérique d’hier, avec ses femmes féminines et ses héros virils et droits, dont John Wayne est l’exemple type dans les films de Ford. Peut-être un roi du cinéma moderne ne pourra-t-il jamais figurer aux côtés d’un Shakespeare dans le Panthéon des grands hommes de tous les temps, mais ce roi moderne du cinéma John Ford l’était.

Merci à vous, Irlande et Amérique. Joyeuse Fête de Saint Patrick à toutes les deux !

Kyrie eleison.

Un Tournant

Un Tournant on mars 10, 2012

Parlant aux Etats-Unis le mois dernier au sujet des relations entre Rome et la Fraternité Saint Pie X, le Supérieur Général de la Fraternité a dit qu’un accord pratique entre les deux parties serait possible si Rome acceptait la Fraternité telle qu’elle est, et il a signalé que Monseigneur Lefebvre avait souvent dit qu’un tel accord serait acceptable. Cependant, Monseigneur Fellay a ajouté que la dernière fois que Monseigneur Lefebvre l’a dit fut en 1987. Ce petit rajout est hautement significatif, et mérite d’être approfondi, surtout pour une jeune génération qui peut ne pas être familiarisée avec le drame historique des Consécrations Episcopales de 1988.

De fait, le drame des drames, sans lequel la FSSPX n’aurait jamais vu le jour, ce fut le Deuxième Concile du Vatican (1962–1965), où la grande majorité des évêques catholiques a accepté cette « mise à jour » de l’Eglise par laquelle ils ont scindé leur autorité catholique d’avec la vérité de la Tradition catholique. A partir de ce moment, les Catholiques ont dû choisir entre l’Autorité et la Vérité. Jusqu’à ce jour, s’ils choisissent l’Autorité, la Vérité ne peut que leur manquer, et s’ils choisissent la Vérité, ils désireront toujours être réunis avec l’Autorité. Monseigneur Lefebvre a choisi la Vérité, et c’est pourquoi il a fondé pour la défendre la Fraternité en 1970, mais tant qu’il le pouvait il a fait tout dans son pouvoir pour ne pas s’éloigner de l’Autorité, en s’efforçant d’obtenir pour sa Fraternité l’approbation de Rome. C’est pourquoi Monseigneur Fellay a raison de dire que jusqu’en 1987 Monseigneur Lefebvre a toujours cherché à obtenir un accord pratique avec Rome.

Cependant, en 1987, Monseigneur Lefebvre avait 82 ans. Il prévoyait que sans ses propres évêques, le maintien de la Tradition par la Fraternité prendrait nécessairement fin. Il devenait urgent d’obtenir de Rome au moins un évêque mais Rome a temporisé, sans doute parce qu’elle aussi se rendait bien compte que la Fraternité sans ses propres évêques disparaîtrait de mort lente. En mai 1988 celui qui était alors le Cardinal Ratzinger a tellement temporisé qu’il a fait comprendre à Monseigneur Lefebvre que la Rome néo-moderniste n’avait aucune intention de d’approuver, encore moins de protéger la Tradition catholique. Ainsi, la diplomatie ne servant plus, il a procédé aux Consécrations Episcopales, en disant que désormais ce devait être la doctrine ou rien. Désormais le prélude absolument nécessaire à tout contact entre Rome et la Fraternité, disait-il, serait que les Romains professent leur foi dans les grands documents antilibéraux de la Tradition catholique, par exemple, Pascendi, Quanta Cura, etc.

Et c’est pourquoi, comme Monseigneur Fellay l’a suggéré le 2 février, jamais plus on n’a entendu de la bouche de Monseigneur Lefebvre, jusqu’à sa mort en 1991, qu’un accord pratique serait possible ou désirable. Ce grand Archevêque était allé aussi loin que possible pour obtenir de l’Autorité le minimum qu’exigeait la Vérité. Il a même suggéré une fois qu’en mai 1988 il était allé trop loin. Mais à partir de ce moment-là il n’a plus hésité, il ne s’est plus compromis, et il a encouragé quiconque voulait l’écouter à faire de même.

La situation, a-t-elle changé depuis ? Rome, est-elle revenue à la profession de la Foi de toujours ? On pourrait le croire quand Monseigneur Fellay nous informe dans le même sermon que Rome, en modifiant la rigueur de sa position du 14 septembre, déclare maintenant qu’elle est disposée à accepter la Fraternité telle qu’elle est. Mais il suffit de se rappeler Assise III et la néo-béatification de Jean-Paul II de l’année dernière pour soupçonner que derrière cette nouvelle bienveillance des prélats de Rome envers la Fraternité, se trouve selon toute vraisemblance la conviction que l’euphorie des contacts mutuels rétablis et prolongés finira par diluer et à la longue dissoudre la résistance jusqu’ici obstinée de la Fraternité à leur nouvelle Eglise. Hélas.

« Notre salut est dans le nom du Seigneur ».

Kyrie eleison.

L’Oecuménisme de Benoit – I

L’Oecuménisme de Benoit – I on février 25, 2012

Une remarquable étude de l’œcuménisme conciliaire est apparue en Allemagne il y a quelques années, écrite par un certain Dr. Wolfgang Schüler. Dans « Benoît XVI et Comment l’Eglise se Voit Elle-même », il démontre que l’œcuménisme répandu par Vatican II a transformé la compréhension qu’Elle a d’Elle-même, et il prouve par une série de citations textuelles de Joseph Ratzinger comme prêtre, Cardinal et Pape, que celui-ci a promu cette transformation d’une façon parfaitement cohérente, depuis l’époque du Concile jusqu’à aujourd’hui. Et ce ne sera pas pour lui de quoi avoir honte.

Dans un ordre logique – cela prendra plus d’un « Commentaire Eleison » – voyons d’abord la véritable conception que l’Eglise a d’Elle-même, et alors avec l’aide du Dr. Schüler, comment cette conception fut changée par le Concile et comment Benoît XVI a promu d’une façon cohérente ce changement. Finalement nous tirerons les conclusions qui s’imposent pour les catholiques qui veulent garder la vraie Foi.

La vraie Eglise catholique s’est toujours vue Elle-même comme un tout organique, une société une, sainte, catholique et apostolique, constituée par des êtres humains unis par la Foi, les sacrements et la hiérarchie romaine. Cette Eglise est tellement une, qu’aucun élément ne peut en être arraché ni enlevé sans cesser d’être catholique (cf. Jn. XV, 4–6). Par exemple, la Foi qui constitue l’élément de base du croyant catholique ne peut être fragmentée, mais doit être gardée dans son intégralité (au moins implicitement) ou pas du tout. Et cela parce que c’est sur l’autorité de Dieu révélant les dogmes de la Foi catholique que je crois en eux, de telle sorte que si je rejette un seul dogme, je rejette du coup l’autorité de Dieu qui les cautionne tous, auquel cas même si je crois à tous les autres dogmes, ma croyance ne repose plus sur l’autorité de Dieu mais seulement sur mon propre choix.

En réalité le mot « hérétique » vient du mot grec « choisir » (hairein), car la croyance d’un hérétique étant fondée uniquement sur son propre choix, il a par là même perdu la vertu surnaturelle de foi, de telle sorte que même s’il ne rejette qu’un seul dogme de Foi, il n’est plus catholique. Dans une célèbre citation, Saint Augustin dit : « Sur beaucoup de choses vous êtes avec moi, sur peu vous n’êtes pas avec moi, mais à cause de ce peu pour lequel vous n’êtes pas avec moi, le beaucoup pour lequel vous êtes avec moi ne vous sert à rien. »

Par exemple un Protestant peut croire en Dieu ; il peut même croire à la divinité de l’homme Jésus de Nazareth, mais s’il ne croit pas à la Présence Réelle de Dieu, corps, sang, âme et divinité, sous les apparences du pain et du vin après leur consécration à la Messe, alors il a un concept profondément différent et déficient de l’amour de Jésus-Christ et du Dieu auquel il croit. Peut-on alors dire que le vrai Protestant et le vrai Catholique croient au même Dieu ? Vatican II dit qu’on peut le dire, et sur la base de croyances qu’il suppose plus ou moins partagées entre les catholiques et tous les non-catholiques, il construit son œcuménisme. Au contraire le Dr. Schüler illustre par une série de comparaisons que lorsque deux croyances qui semblent être la même font en réalité partie de deux credo différents, ce n’est plus du tout la même croyance. Voici une illustration : les molécules d’oxygène mélangées à l’azote sont exactement les mêmes qui se composent avec l’hydrogène, mais elles sont aussi différentes dans les deux cas que l’air que nous respirons (O+4N) est différent de l’eau que nous buvons (H2O) ! A suivre.

Kyrie eleison.

Confronter Le Chaos

Confronter Le Chaos on février 18, 2012

Des lecteurs attentifs de ces « Commentaires » peuvent avoir remarqué une contradiction apparente. D’une part les « Commentaires » n’ont cessé de condamner tout ce qu’il y a de moderne dans les arts (par exemple EC 114, 120, 144, 157, etc.). D’autre part, la semaine dernière le poète Anglo-américain T. S. Eliot s’est fait appeler « ultra-moderne », et vanter pour avoir lancé un nouveau style de poésie plus authentique en ce qui concerne l’époque moderne, certes chaotique.

Ainsi que les « Commentaires » l’ont souvent signalé, la modernité dans les arts se caractérise par son manque d’harmonie et sa laideur, parce que l’homme moderne choisit de plus en plus de vivre sans ou même contre Dieu qui a mis l’ordre et la beauté dans toute sa création. Cette beauté et cet ordre se trouvent maintenant tellement enterrés sous les fastes et les œuvres de l’homme sans Dieu qu’il est facile aux artistes de croire qu’ils ne s’y retrouvent plus. Si donc les artistes doivent être véridiques par rapport à ce qu’ils perçoivent de leur entourage et de leur société, il s’ensuit que seul un artiste moderne exceptionnel transmettra quelque chose de l’ordre divin qui demeure caché sous la surface désordonnée de la vie moderne. En effet, la plupart des artistes modernes ont renoncé à l’ordre et, comme leurs clients, se vautrent dans le désordre.

Mais Eliot naquit et fut éduqué vers la fin du 19 ème siècle alors que la société conservait encore un ordre relatif, puis il reçut aux USA une bonne éducation classique lorsque seuls quelques bandits rêvaient en secret de remplacer l’éducation par l’enseignement de matières inhumaines. Aussi le jeune Eliot peut-il n’avoir eu que peu d’accès à la vraie religion, mais on l’avait bien introduit à ce que celle-ci avait engendré depuis le Moyen Age, à savoir les grands classiques de la musique et de la littérature occidentale. Ressentant et cherchant en elles l’ordre qui manquait autour de lui, Eliot fut ainsi capable de saisir le profond désordre du 20 èmesiècle commençant, désordre qui ne ferait qu’éclater avec la Première Guerre mondiale (1914–1918). D’où La Terre Désolée de 1922.

Mais dans ce poème il est loin de se vautrer dans le désordre. Au contraire, clairement, Eliot le hait, montrant à quel point il est vide de chaleur et de valeurs humaines. Ainsi La Terre Désolée conserve peu de trace de la religion occidentale, mais elle se termine sur des bribes de religion orientale, et comme le dit Scruton, Eliot sondait certainement les profondeurs religieuses du problème. En fait, quelques années plus tard Eliot a failli devenir catholique, mais il en a été détourné par la condamnation en 1926 de l’ « Action Française » par Pie XI, condamnation dans laquelle il reconnut davantage le problème et non pas sa solution. Alors par reconnaissance envers cette Angleterre qui lui avait tant permis d’apprécier l’ordre traditionnel, il choisit une solution incomplète, une combinaison d’Anglicanisme avec la grande culture, et un chapelet toujours dans sa poche. Cependant Dieu écrit droit avec des lignes tordues. Combien d’âmes à la recherche de l’ordre seraient restées loin de Shakespeare ou d’Eliot si elles avaient pensé que l’un ou l’autre, par le fait d’être pleinement Catholiques, avaient des réponses seulement préfabriquées, sans correspondance véritable à la vie.

C’est triste, mais c’est ainsi. Or, les âmes peuvent bien se tromper de façon ou d’autre si pour s’éloigner d’auteurs ou d’artistes catholiques ils prennent comme excuse que ceux-ci ne sont pas fidèles à la réalité de la vie, mais il dépend des catholiques de ne pas leur offrir cette excuse. A nous autres catholiques de montrer par notre exemple, face aux profondeurs des problèmes modernes, que nous ne nous laissons pas bercer par des solutions artificielles, nécessairement fausses. Nous ne sommes pas des anges, mais des créatures terre à terre, pourtant invitées au Ciel si nous acceptons notre Croix moderne en suivant Notre Seigneur Jésus-Christ. Seuls de tels disciples peuvent refaire l’Eglise, et le monde !

Kyrie eleison.

Angélisme Mortel

Angélisme Mortel on février 11, 2012

En discernant ce qui fit de T.S. Eliot (1888–1965) « indiscutablement le plus grand poète de langue anglaise au 20 ème siècle », un écrivain anglais conservateur de nos jours, Roger Scruton, a des choses intéressantes à suggérer aux Catholiques dont la foi pend à un fil en ces premières années du 21 ème siècle – bref, la solution est dans la souffrance même ! Si nous sommes crucifiés par le monde autour de nous, voilà la Croix que nous devons porter.

Eliot était en poésie un ultra-moderniste. Comme le dit Scruton, « Il a renversé le 19 ème siècle dans la littérature et inauguré l’âge de la versification libre, de l’aliénation et de l’expérimentation. » On pourrait bien se demander si la combinaison de haute culture et d’Anglicanisme à laquelle est arrivé finalement Eliot est une solution suffisante aux problèmes qu’il abordait, mais on ne peut nier qu’avec son célèbre poème, La Terre Désolée de 1922, il a ouvert la voie à la poésie anglaise contemporaine. L’énorme influence de ses poèmes a démontré au moins qu’Eliot avait mis le doigt sur la plaie de notre époque. C’est un homme moderne et il aborda de front le problème de l’époque moderne, résumé par Scruton avec ces mots : « fragmentation, hérésie et incroyance ».

Cependant, La Terre Désolée ne pourrait être le chef d’œuvre qu’il est, s’il n’avait su trouver un sens au chaos. Il s’agit en fait d’un portrait brillant en pas plus de 434 lignes de la « civilisation » européenne détruite, telle qu’elle émergeait des ruines de la Première guerre mondiale. Et comment Eliot a-t-il réussi ce coup ? Parce que, comme le dit Scruton, l’ultra-moderniste Eliot était aussi un ultra-conservateur. Eliot s’était imprégné des grands poètes du passé, en particulier de Dante et de Shakespeare, mais aussi de maîtres plus modernes, tels Baudelaire et Wagner, et en lisant La Terre Désolée on voit clairement que c’est l’appréciation de l’ancien ordre chez Eliot qui l’a rendu capable de saisir le désordre de l’époque actuelle.

Scruton commente que lorsque Eliot balaya d’un revers de main la grande tradition de la poésie romantique anglaise du XIX ème siècle, c’est parce que le romantisme ne correspondait plus à la réalité de son époque. « Il croyait que l’usage par ses contemporains d’une diction poétique dépassée et de rythmes doucereux trahissait une grave faiblesse morale : un refus d’appréhender la vie telle qu’elle est en réalité, un refus de sentir ce qui doit être ressenti envers cette expérience contemporaine à laquelle nous ne pouvons échapper. Et ce refus ne se limitait pas, selon Eliot, à la littérature, mais embrassait tout l’ensemble de la vie moderne. » La recherche d’un nouveau langage littéraire de la part d’Eliot faisait donc partie pour lui d’une recherche plus large – « la recherche de la réalité de l’expérience moderne ».

Or n’avons-nous pas vu, ne voyons-nous pas toujours à l’intérieur de l’Eglise la même « grave faiblesse morale » ? On peut donner le nom de « Cinquantisme » à cette faiblesse de l’Eglise des années 1950 qui fut la cause directe du désastre de Vatican II dans les années 1960. Mais qu’était-ce sinon le refus de voir carrément le monde moderne tel qu’il est ? L’illusion que tout était beau, que tout le monde était gentil ? L’illusion qu’il suffira que je m’emmitoufle dans une sentimentalité angéliste pour que les problèmes de l’Eglise dans le monde Révolutionnaire s’évanouissent tout simplement ? Et que signifie maintenant l’illusion que Rome désire réellement rétablir la Tradition catholique sinon essentiellement le même refus de la réalité moderne ? Comme Eliot nous a fait comprendre que cette sentimentalité est la mort de la vraie poésie, de même Monseigneur Lefebvre nous a montré qu’elle est la mort du véritable catholicisme. Cet Archevêque ultra-conservateur était en même temps le plus moderne des catholiques fidèles.

Catholiques, la réalité d’aujourd’hui peut nous crucifier par l’un ou l’autre de ses nombreux moyens corrompus, mais réjouissez-vous, encore une fois, dit Saint Paul, réjouissez-vous, car ce n’est qu’en acceptant la Croix qui nous revient aujourd’hui à chacun de nous que nous ferons notre propre salut, et que nous construirons le seul avenir du catholicisme.

Kyrie eleison.

Religion d’État ? – III

Religion d’État ? – III on janvier 14, 2012

Proclamer que les Etats n’ont pas besoin de professer ni de protéger la religion catholique est une erreur libérale classique, et l’une des plus grandes erreurs du Vatican II. Le libéralisme a dit, pour ainsi dire, « N’attaquons pas de front le Catholicisme, mais divisons pour régner. Divisons l’homme individuel d’avec la société en prétendant que l’homme n’est pas un animal social, et alors nous pourrons prétendre que la religion est uniquement une affaire individuelle. Cela nous permettra de nous emparer de la société, et une fois que nous l’aurons rendue libérale, nous pourrons la retourner contre l’individu en arme puissante pour le rendre lui aussi libéral, parce que, bien sûr, l’homme est un animal social ! Et alors si un quelconque individu ne veut pas être libéral, il aura de grandes difficultés à résister à sa société que nous aurons rendue libérale ». N’en est-il pas ainsi ? Regardez autour de vous ! Répondons alors à trois nouvelles objections à la doctrine selon laquelle, pour le salut des âmes, tout Etat devrait être catholique.

Excellence, Notre Seigneur lui-même a dit, « Rendez à César les choses qui sont de César, et à Dieu les choses qui sont de Dieu » (Mt.XXII, 21). Ici Notre Seigneur sépare clairement l’Eglise de l’Etat. Par conséquent aucun Etat ne devrait être impliqué dans le Catholicisme ni dans n’importe quelle autre religion.

Réponse : non, Notre Seigneur ne sépare pas ici l’Eglise de l’Etat ! Il ne fait que distinguer selon le bon sens entre ce que l’individu doit à l’Etat (impôts, etc.) et ce qu’il doit à Dieu (culte). En aucune façon Notre Seigneur ne dit que l’Etat temporel ne doit rien au Dieu éternel. De fait l’Etat, en tant qu’il est l’autorité collective temporelle d’une réunion d’êtres humains, doit à Dieu dans ses actes d’autorité ce que ces êtres humains doivent à Dieu en tant qu’ êtres sociaux, à savoir, l’observance de sa loi naturelle, et quant à l’Eglise, dont la raison naturelle par elle-même peut discerner qu’elle est la vraie, l’Etat lui doit une reconnaissance et soutien social, dans la mesure où cela ne sera pas contre-productif pour le salut des âmes.

Mais c’est à l’individu qu’il revient de discerner quelle est la vraie religion. Comment alors l’Etat en tant qu’Etat peut-il être obligé par principe d’être Catholique ?

Réponse : l’Etat n’est rien d’autre que l’association morale (c’est à dire non-matérielle) dans un corps politique d’un plus ou moins grand nombre d’êtres humains physiques (c’est-à-dire matériels). Or, chacun de ces êtres humains, rien que par l’usage correct de sa raison naturelle, avec ou sans la vertu surnaturelle de la Foi, est capable de discerner que Dieu existe, que Jésus-Christ est Dieu, et que l’Eglise Catholique est la seule Eglise fondée par Jésus-Christ. Si alors tel Etat ne discerne pas quelle est la vraie religion, ce n’est pas parce que ses citoyens ne peuvent pas la discerner, mais bien parce que diverses raisons font qu’ils ne la discernent pas ou ne veulent pas le faire, alors qu’ils en seraient bien capables par l’usage droit de la raison que Dieu leur a donnée. Devant Dieu ils porteront tous une responsabilité plus ou moins grande, parfaitement mesurée par Lui selon les conditions qui sont les leurs, pour ne pas l’avoir fait.

Mais, Excellence, si vous insistez sur l’obligation de chaque Etat à être Catholique, vous ferez tout simplement que les gens se braquent contre la bonne doctrine.

Réponse : C’est pour la gloire de Dieu et le salut éternel des âmes que chaque Etat devrait être catholique. Ainsi pour des hommes trop ignorants ou corrompus pour que cette vérité fasse autre chose que les aliéner, on peut, sans diminuer le principe, hésiter à le proclamer, mais cela ne le rend pas moins vrai pour autant. Les vrais principes ne sont pas moins vrais parce qu’il faut exercer parfois dans la pratique une certaine prudence dans la façon dont on les proclame. Assurément, aux lecteurs de ce « Commentaire » on peut dire la vérité entière !

Kyrie eleison.